En moins de deux mois, l’Autorité a prononcé trois décisions de sanction en matière de restriction de revente sur internet, dont 91,6 millions d’euros à l’encontre de Rolex.
L’affaire Rolex fait suite aux saisines, en 2017, de l’Union de la Bijouterie Horlogerie et du distributeur spécialisé dans la vente au détail d’horlogerie Pellegrin & Fils. Les services d’instruction avaient notifié à Rolex deux griefs d’entente généralisée entre Rolex et ses distributeurs, ayant conduit pour la première, à une interdiction de revente des produits de la marque en ligne par les distributeurs et pour la seconde, à une fixation des prix de revente au détail des montres Rolex.
Dans sa décision 19 décembre 2023, l’Autorité a écarté le second grief notifié, considérant que les éléments du dossier n’avaient pas permis de démontrer une invitation de la part de Rolex à restreindre la liberté tarifaire de ses distributeurs, ni une acceptation, par ces derniers, d’une telle invitation. En effet, malgré la communication de prix recommandés par Rolex, et le souhait de Rolex de voir le niveau de remises octroyées par les distributeurs limité, l’Autorité a reconnu que les distributeurs disposaient « d’une marge de manœuvre totale » dans la détermination de leur politique tarifaire.
L’Autorité a cependant constaté, s’agissant du premier grief, que l’entente verticale visant à interdire la vente en ligne des montres de marque Rolex était caractérisée. Selon l’Autorité, cela résultait, d’une part, des dispositions du contrat de distribution sélective conclu entre la filiale française et ses distributeurs qui prévoyaient notamment que « toute vente hors de l’établissement de vente ou par correspondance » (article IV.3.b du contrat) était interdite, et d’autre part, de l’acceptation, par les distributeurs, de ne pas revendre les produits de la marque sur internet, comme exprimé notamment dans leurs déclarations. Cela se déduisait également des communications de Rolex à ses distributeurs, qui étaient explicites quant à l’impossibilité de revendre les produits de la marque en ligne
Pour tenter de démontrer l’absence d’une restriction de concurrence, Rolex avait avancé certaines justifications, dont la nécessité de garantir une expérience d’achat satisfaisante aux consommateurs, la nécessité de combattre la montée croissante de la contrefaçon sur les plateformes de revente, ainsi que les risques associés au marché parallèle. Ces arguments ont été rejetés par l’Autorité, qui a, entre autres, observé que les principaux concurrents de Rolex autorisaient les ventes en ligne sous certaines conditions et que l’interdiction de vente en ligne ne représentait pas une réponse proportionnée pour pallier les préoccupations exprimées par Rolex.
L’Autorité de la concurrence a jugé que l’interdiction de vendre en ligne des montres Rolex, prévue dans le contrat de distribution sélective mis en place au sein du réseau de Rolex pendant plus de 10 ans, était constitutive d’une infraction par objet. Elle a, à ce titre, prononcé une amende de pas moins de 91,6 millions d’euros à l’encontre de Rolex.
Cette décision a été rendue quelques jours après une décision de condamnation prononcée par l’Autorité à l’encontre de Mariage Frères, l’un des principaux producteurs de thés haut de gamme en France.
Le producteur de thés de luxe a en effet écopé d’une amende de 4 millions d’euros pour avoir, pendant près de 15 ans, (i) interdit à ses distributeurs de commercialiser les produits de la marque en ligne et (ii) interdit aux distributeurs de revendre les produits à d’autres revendeurs. Seul le groupe Mariage Frères pouvait ainsi vendre les produits sur internet et réaliser des ventes en gros.
Plus récemment encore, l’Autorité a prononcé, par décision du 6 février 2024, une nouvelle sanction du même montant dans le secteur du chocolat haut de gamme, à l’encontre de De Neuville, pour des pratiques similaires, à savoir, une interdiction faite aux distributeurs de revendre en ligne. A l’instar des deux affaires précédentes, l’Autorité a constaté que la restriction de vente en ligne ressortait expressément de la documentation contractuelle, à savoir ici les contrats de distribution.
La pratique décisionnelle étant rare dans ce domaine, il est intéressant de relever qu’il a également été reproché au franchiseur De Neuville d’avoir restreint les ventes faites par les franchisés à la clientèle professionnelle, alors qu’aucun territoire de revente avait été exclusivement réservé aux franchisés. Ces derniers auraient donc dû normalement de ce fait pouvoir vendre activement et passivement à tout client professionnel.
Adopté le 14 septembre 2022, le Règlement (EU) n°2022/1925 dit « Digital Markets Act » (« DMA » ou règlement sur les marchés numériques en français) a pour objectif « de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en établissant des règles visant à garantir la contestabilité et l’équité des marchés dans le secteur numérique en général et pour les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux des services de plateforme essentiels fournis par les contrôleurs d’accès en particulier ».
Si certains articles du DMA sont applicables depuis le 2 mai 2023, les articles 5, 6 et 7 qui visent les « contrôleurs d’accès » ou « gatekeepers » leurs sont applicables depuis le 7 mars 2024 (article 3).
Pour rappel, les entreprises auxquelles s’appliquent ces obligations ont été désignées par la Commission européenne en septembre 2023. Il s’agit d’Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft.
Les articles susmentionnés prévoient une pluralité d’obligations devant être respectées par les contrôleurs d’accès pour chacun des services de plateforme essentiels qu’ils proposent et ce afin de rétablir un cadre équitable entre les entreprises opérant sur les plateformes numériques. A titre d’illustration, les contrôleurs d’accès doivent désormais laisser aux entreprises utilisatrices la possibilité de promouvoir leurs offres et conclure des contrats en dehors de leurs services de plateforme ou encore rendre aussi facile le désabonnement que l’abonnement à un service et permettre aux utilisateurs finaux de désinstaller facilement des applications. Au contraire, ils ne peuvent plus favoriser leurs services et produits par rapport à ceux des vendeurs qui utilisent leur plateforme ou exploiter les données des vendeurs pour les concurrencer.
Pour mémoire, en cas de non-respect des dispositions du DMA, les contrôleurs d’accès encourent une amende dont le montant pourra atteindre jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial réalisé au cours de l’exercice précédent, ou 20 % de celui-ci en cas de récidive. Une astreinte journalière pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé au niveau mondial au cours de l’exercice précédent par l’entreprise concernée pourra également être prononcée par la Commission européenne.
Enfin et pour information, la Commission européenne a annoncé le 25 mars 2024 avoir ouvert des enquêtes contre certains contrôleurs d’accès au motif qu’ils ne se seraient pas conformés pleinement à leurs nouvelles obligations.
La Commission européenne a publié, le 8 février dernier, une nouvelle version de sa Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit de la concurrence (ci-après la « Communication révisée »). Ladite communication n’avait en effet jamais fait l’objet de modifications depuis son adoption en 1997.
La Communication révisée reprend les grands principes exposés dans la version initiale de 1997 et les adapte aux évolutions sociétales et technologiques, en tenant notamment compte des spécificités des marchés numériques et des marchés à forte intensité d’innovation.
À titre liminaire, si la substance de la définition du « marché en cause » demeure inchangée par rapport à la version de 1997, la Communication révisée apporte des ajustements utiles pour adapter ce cadre théorique aux évolutions significatives ayant eu lieu depuis la publication de la première version. Elle entend également refléter la pratique décisionnelle de la Commission et des autorités de concurrence des dernières années.
Les principales évolutions résultant de la Communication révisée sont présentées ci-dessous.
La Communication révisée souligne l’importance de la prise en compte de paramètres de concurrence autres que les prix lors de la définition des marchés en cause. Ainsi, la Commission indique que le degré d’innovation, la durabilité, la valeur et la diversité des utilisations offertes par le produit, la possibilité de l’intégrer à d’autres produits, la sécurité et la protection de la vie privée offertes ou encore la disponibilité peuvent être pris en compte par les clients pour effectuer leurs choix.
Dans sa Communication révisée, la Commission précise comment définir certains marchés au regard des circonstances spécifiques de l’espèce. C’est à cette occasion qu’elle traite des marchés en présence d’une activité de recherche et développement (« R&D ») importante, des plateformes multifaces ou encore des marchés de l’après-vente, de produits groupés et d’écosystèmes numériques.
Pour prendre l’exemple de la R&D et le cas de produits en cours de développement, il sera examiné notamment si ces produits qui ne sont pas encore sur le marché mais pour lesquels il est peut déjà être anticipé avec quels autres produits ces produits en cours de développement sont substituables vont constituer un nouveau marché ou s’ils seront rattachés à un marché de produits déjà existant. L’utilisation prévue du produit en cours de développement et sa substituabilité prévue avec d’autres produits jouent un rôle particulier dans la définition du marché en cause.
La Commission souligne par ailleurs que l’innovation est souvent un « paramètre essentiel de la concurrence » et que la Commission tient compte des spécificités de secteurs très innovants caractérisés par des activités de R&D fréquentes.
Si le test SSNIP (« Small but Significant Non-transitory Increase in Price ») demeure pertinent pour la définition des marchés, la Commission le considère désormais comme un simple « cadre conceptuel » pour l’interprétation des éléments de preuve qu’elle n’est pas tenue d’appliquer de manière empirique. La Communication révisée admet ainsi que d’autres types de preuves sont tout aussi valables pour éclairer la définition du marché.
En outre, la Commission indique que lorsque des entreprises se livrent concurrence sur d’autres paramètres que le prix, d’autres solutions, telles que l’appréciation du comportement des clients en réponse à une diminution légère mais significative et non transitoire de la qualité du produit (« SSNDQ » pour « Small but Significant and Non Transitory Decrease of Quality ») peuvent être privilégiées. La Commission vise ici, en particulier, le cas des industries innovantes et des produits à prix monétaire nul.
Des précisions sont également apportées par la Commission sur la définition du marché géographique qui clarifie par exemple les cas dans lesquels les importations peuvent être suffisantes pour définir un marché mondial. Elle explique à ce titre que la simple existence d’importations ne conduit pas nécessairement à élargir le marché géographique lorsque le commerce entre certains territoires ou d’autres considérations relatives à l’offre et à la demande sont insuffisants pour aboutir à des conditions de concurrence suffisamment homogènes.
La Communication révisée rappelle que les éléments de preuve utilisés pour définir les marchés doivent être fiables et, dans la mesure du possible, récents.
La Commission liste à ce titre les divers types d’éléments de preuve pouvant être utilisés à savoir des éléments provenant d’autorités publiques, des éléments reçus à l’issue des demandes écrites de renseignement auprès des acteurs du marché, des documents internes aux entreprises concernées, les résultats d’études ad hoc menées aux fins de l’enquête et couvrant un échantillon représentatif de clients ou fournisseurs ou encore des informations publiques et des statistiques de marché.
La Communication révisée fournit également des orientations plus détaillées sur l’approche mise en œuvre par la Commission pour le calcul des parts de marché.
Si la Commission s’appuie généralement sur les parts de marché calculées grâce au montant des ventes, la Communication révisée indique que d’autres critères mesurables peuvent être pris en compte pour fournir des informations complémentaires ou plus utiles. Lesdits critères varient toutefois selon les types de marchés (marchés numériques, marchés innovants ou caractéristiques par des procédures d’appels d’offres, marchés de transports, etc.). Sans être exhaustifs, nous pouvons citer la capacité ou la production, le nombre de fournisseurs, le nombre de marchés attribués, le niveau de dépenses de recherche et de développement ou encore le nombre de brevets.
Enfin, la Communication révisée indique que les parts de marché ne sont pas le seul indicateur de la puissance d’une entreprise sur le marché et que d’autres facteurs, comme les barrières à l’entrée ou à l’expansion, notamment celles dérivées d’effets d’échelle ou d’effets de réseau, l’accès à des actifs et intrants spécifiques, ou le degré de substituabilité, peuvent également être pertinents.
L’Autorité de la concurrence a publié, le 15 décembre 2023, son nouveau communiqué de procédure relatif au programme de clémence (le « Communiqué »). Celui-ci est applicable depuis le 15 décembre 2023 aux demandes d’exonération des sanctions pécuniaires pour lesquelles un avis de clémence n’a pas été adopté avant cette date.
Le Communiqué prend en compte les modifications issues de la directive ECN+, de la loi n° 2020-1508 dite DDADUE et du décret n°2021-568 du 10 mai 2021 et apporte des précisions sur (i) les conditions d’éligibilité à la demande d’exonération de type 1A, (ii) la demande de marqueur, (iii) la procédure de dépôt et de recueil des demandes et déclarations de clémence, (iv) les suites à donner à la demande de clémence et (v) les garanties conférées au demandeur de clémence notamment.
Pour rappel, il existe divers types d’exonération à savoir l’exonération totale des sanctions pécuniaires (« cas de type 1 ») et l’exonération partielle des sanctions pécuniaires (« cas de type 2 »). Parmi les cas de type 1, il convient de distinguer le « cas de type 1A » dont peut bénéficier l’entreprise qui fournit la première à l’Autorité des informations lui permettant de procéder à des opérations de visite et saisie du « cas de type 1B » dont peut bénéficier l’entreprise qui fournit la première à l’Autorité des informations lui permettant d’établir l’existence de la pratique en cause.
Si les conditions permettant de bénéficier de l’exonération de type 1B ou à celle de type 2 restent inchangées, le Communiqué apporte des précisions à celles relatives à l’exonération de type 1A.
Reprenant les critères du décret n°2021-568 du 10 mai 2021, l’Autorité précise que l’exemption totale de type 1A est accordée lorsque :
Compte tenu de l’importance du rang du demandeur de clémence dans la détermination de la part d’exonération à laquelle il peut prétendre, le Communiqué consacre par écrit la pratique dite du « marqueur », déjà existante.
Ainsi, le demandeur dont la demande de clémence est incomplète pourra demander à l’Autorité de lui octroyer un délai pour réunir les éléments pertinents au soutien de sa demande. Pendant ce délai, le demandeur conservera la place de sa demande dans l’ordre d’arrivée.
Le Communiqué précise les modalités selon lesquelles le marqueur peut être demandé. En effet, la demande de marqueur doit être formulée dans la demande de clémence ou lors du rendez-vous avec le conseiller clémence dans le cas d’une demande de clémence orale.
En principe, le délai octroyé est d’un mois et pourra être prolongé par le rapporteur général selon les circonstances de l’espèce.
Il était jusqu’alors uniquement possible d’adresser une demande de clémence à l’Autorité en l’envoyant par lettre recommandée avec avis de réception ou en appelant le conseiller clémence pour convenir d’un rendez-vous avec lui. En plus de ces deux modes, il est désormais possible d’adresser une demande de clémence par voie électronique et sécurisée via le site internet de l’Autorité ou de la déposer à l’accueil des locaux de l’Autorité.
S’agissant de la procédure de recueil de la déclaration de clémence, le Communiqué consacre la possibilité pour tout demandeur de clémence de transmettre sa demande ainsi que les documents justificatifs à l’Autorité par l’intermédiaire de la plateforme d’échanges sécurisés de documents.
Par ailleurs, le communiqué précise que les éléments transmis à l’Autorité peuvent comprendre entre autres « des enregistrements dissimulés ou non ». Il s’agit là d’une consécration du standard de la liberté de la preuve, similaire à celui applicable en matière pénale.
La loi DDADUE ayant supprimé l’avis de clémence du collège de l’Autorité, le Communiqué n’y fait plus référence.
Il mentionne désormais que le rapporteur général doit informer le demandeur de clémence, par écrit et dans les meilleurs délais, selon le cas, de son éligibilité ou absence d’éligibilité à une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires encourues, de sa décision de ne pas ouvrir une enquête ou encore de sa décision de ne pas formuler une proposition d’autosaisine. C’est également à cette occasion qu’il devra informer le demandeur de clémence de son rang d’arrivée ainsi que des conditions de coopération.
Le Communiqué mentionne également que le rapporteur général peut revenir sur sa position en cas de changement de circonstances juridiques ou factuelles.
Enfin, le Communiqué apporte des précisions sur les garanties conférées au demandeur de clémence tant sur le plan civil que sur le plan pénal.
Sur le plan civil tout d’abord, l’Autorité rappelle que l’exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires accordée par l’Autorité à une entreprise au titre de la procédure de clémence ne la protège des répercussions civiles découlant de sa participation à la pratique anticoncurrentielle que dans les conditions des articles L. 481-11 et L. 483-5 du code de commerce, à savoir : (i) la limitation de la responsabilité solidaire de l’entreprise ayant obtenu une exonération totale, à réparer le préjudice des victimes, avec les autres codébiteurs et (ii) la protection de la déclaration de clémence dont le juge ne peut enjoindre la communication.
Sur le plan pénal ensuite, il est rappelé qu’il résulte de l’article L.420-6-1 du code de commerce que les personnes physiques concernées (directeurs, gérants et autres membres du personnel d’une entreprise notamment) sont exemptées totalement des peines prévues à l’article L.420-6 du code de commerce à condition toutefois qu’elles aient activement coopéré avec l’Autorité et le Ministère public.
Les courriers électroniques non sollicités de personnes qui ne sont pas des clients de Dentons ne créent pas de relation avocat-client, peuvent ne pas être protégés par le secret professionnel et peuvent être divulgués à des tiers. Si vous n'êtes pas un client de Dentons, merci de ne pas nous envoyer d'informations confidentielles.
Ce contenu n'est pas disponible dans votre langue. Pour poursuivre en anglais, cliquez sur Continuer.
Vous allez maintenant être redirigé depuis le site Dentons vers le site $redirectingsite en anglais. Pour continuer, veuillez cliquer sur Accepter.
Vous allez maintenant être redirigé depuis le site Dentons vers le site Beijing Dacheng Law Offices, LLP. Pour continuer, veuillez cliquer sur Accepter.