Aujourd’hui, le risque de ne pouvoir exécuter ses obligations contractuelles ou de subir la défaillance de l’autre partie est incontestablement au cœur des préoccupations des partenaires économiques. Aussi, traitons-nous ici des contrats de droit privé français entre professionnels en présentant quelques clés pratiques.
Le Ministre de l’Economie de la France a pu affirmer, le 28 février 2020, que l’épidémie du COVID-19 sera considérée comme un cas de force majeure et que les pénalités pour retard de livraison ne seront pas appliquées dans les marchés publics. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de législation impérative s’imposant au secteur privé, le contrat reste la loi des parties sous le contrôle du juge.
Effectivement la force majeure est le premier mécanisme auquel on envisage de recourir pour décider du sort d’un contrat (le poursuivre, le suspendre, y mettre un terme) et déterminer les responsabilités. Les notions de fait du prince, d’imprévision et d’exception d’inexécution seront également utiles selon les cas.
Pour gérer cette situation exceptionnelle et y apporter la réponse adéquate, chaque partenaire doit se poser au préalable les bonnes questions :
Après des discussions générées par la réforme du droit des obligations, la solution est désormais établie : il est possible d’exclure expressément du contrat l’exception de force majeure qui n’est pas d’ordre public. Autrement dit, le débiteur de l’obligation (qui y aura renoncé) ne pourra pas s’en prévaloir pour échapper à ses obligations (sauf à invoquer un déséquilibre significatif). Aussi la première vérification qui s’impose est bien celle-ci : la force majeure est-elle expressément exclue ?
Si le contrat contient une clause de force majeure, il faut impérativement vérifier son contenu, si elle est limitative, et quels évènements constitutifs de cas de force majeure y sont listés.
Les parties contractantes ne sont pas tenues par la définition de l’article 1218 du Code civil et de la jurisprudence. Entre professionnels, une clause élargissant les cas de force majeure est valable (Cour de cassation, chambre commerciale, 8 juillet 1981, n°79-15626). Les parties peuvent déterminer par avance les évènements constitutifs de la force majeure ou les exclure. Dans ce cas de figure, la seule survenance de l’événement visé constitue la force majeure sans qu’il y ait lieu de rechercher si le fait répond aux critères légaux de l’article 1218 du Code civil (voir ci-dessous).
Les parties peuvent en effet décider de limiter les cas de force majeure (clause limitative de force majeure) ou de faire supporter des cas de force majeure à une partie (clause de garantie).
Le nouvel article 1351 du Code civil va dans ce sens. Il dispose dans le cas le plus grave d’impossibilité d’exécuter une obligation (et non dans le cas d’une simple suspension), que le débiteur de l’obligation peut assumer les conséquences d’un cas de force majeure. En effet, selon ce nouvel article : « L'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive, à moins qu'il n'ait convenu de s'en charger ou qu'il ait été préalablement mis en demeure. »
Il est toujours possible de modifier un contrat par accord des parties. Les parties peuvent conclure un avenant au contrat prévoyant par exemple que l’actuelle pandémie est considérée comme un cas de force majeure. Les parties peuvent encore prévoir contractuellement les conséquences de la pandémie.
Il est impératif de suivre la procédure mise en place dans le contrat. A défaut, il pourrait s’agir d’une négligence qui pourrait entrainer des dommages dont la charge pèserait sur la partie défaillante, au moins pour ceux des dommages qui auraient pu être évités si la notification avait été conforme au contrat. Pour ne pas courir ce risque, il faut notifier dès que possible la survenance d’un cas de force majeure. Attention également au contrat qui prévoit une déchéance du bénéfice de ce dispositif si l’exception de force majeure n’est pas invoquée dans le délai convenu : autant éviter une discussion sur sur sa validité et sa portée.
Sauf clause contraire, la force majeure fait partie intégrante de tous les contrats par application de l’article 1218 du Code civil.
Cela suppose que trois conditions soient réunies : (i) l’imprévisibilité (l’évènement « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat »), (ii) l’« extériorité » (l’exécution de l’obligation est empêchée par « un évènement échappant au contrôle du débiteur » ; plus exactement, il faut s’assurer que l’évènement échappe au débiteur même s’il n’est pas à proprement parler extérieur, comme la maladie) et (iii) l’irrésistibilité (« les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées »).
La condition d’extériorité ne pose pas de difficulté pour ce qui concerne le COVID-19. Par contre, les conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité peuvent être discutées.
Aussi, quelles questions doit-on se poser pour savoir s’il est possible de bénéficier de l’effet exonératoire de la force majeure de l’article 1218 du Code civil :
« Quand ai-je signé mon contrat ou ma commande ? »
Si la signature du contrat ou de la commande est intervenue bien avant les premiers épisodes de COVID-19 en Chine, voire en Europe, alors la pandémie aura un caractère imprévisible.
A l’inverse, si la signature du contrat ou de la commande est intervenue après l’allocution du Président de la République du 16 mars 2020 décrétant le confinement, le caractère prévisible de la pandémie manque.
En revanche, il sera plus difficile de trancher le caractère prévisible ou non de la pandémie en France à une époque où la presse régionale ou nationale mentionnait la possibilité de mesures de confinement, notamment entre le 9 mars 2020, date à partir de laquelle l’Italie était en confinement (voire à compter du 28 février 2020 – voir ci-dessus) et le 16 mars 2020 date à laquelle la France l’a été. Si le juge doit trancher, il se livrera à une appréciation au cas par cas, selon la nature de l’obligation et le secteur d’activité concerné.
Ainsi, la Cour d'appel de Besançon (2e chambre commerciale, 8 Janvier 2014 – n° 12/02291) a refusé le caractère exonératoire de la force majeure à l'épidémie de grippe H1N1 au motif que cette épidémie « a été largement annoncée et prévue, avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire derrière laquelle la [Société X] tente de se retrancher ». Le caractère d’imprévisibilité du changement de règlementation manquait dès lors que tout le monde pouvait s’y attendre. La Cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile, 17 Décembre 2018 – n° 17/00739) a également refusé le caractère exonératoire de la force majeure à l’épidémie de chikungunya qui « en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue...) et de sa prévalence dans l'arc antillais et singulièrement sur l'île de Saint-Barthélemy courant 2013-2014, ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n'ayant pas fait état d'une fragilité médicale particulière) et que l'hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période ».
« En prenant certaines mesures, puis-je éviter ou limiter les effets de la force majeure ? »
Il est indispensable de se demander si l’exécution de l’obligation est seulement retardée pour la durée de l’évènement ou si l’empêchement est définitif. Si l’obligation est seulement suspendue, le débiteur de l’obligation devra l’exécuter dès que possible sauf dans les cas exceptionnels où le retard justifierait la résolution du contrat.
Aussi pour être réellement libéré de l’exécution de son obligation, l’impossibilité d’exécution doit être totale. Cette impossibilité définitive entraine la rupture du contrat. Il faut s’assurer avant de l’invoquer que c’est bien l’objectif recherché. L’article 1218 du Code civil rappelle que les effets de la force majeure ne doivent pas pouvoir être évités par des mesures appropriées. Si en prenant certaines mesures, il est possible d’exécuter le contrat, l’évènement de force majeure ne sera pas retenu car le caractère d’irrésistibilité fera défaut.
Les décisions impératives d’interdiction émanant des autorités nationales ou régionales ayant force obligatoire sous peine de sanction, sont quasi-systématiquement considérées comme des cas de force majeure. Il s‘agit de « fait du prince » car il n’est pas possible de passer outre à ces interdictions.
En effet, si l’activité empêchée tombe sous le coup de l’une de ces interdictions ou est directement affectée de façon irrémédiable par ces interdictions, il devrait être possible de bénéficier de l’exception de force majeure en raison du « fait du prince ». Depuis la déclaration du 16 mars 2020 du Président de la République appelant au confinement, et les arrêtés et circulaires portant interdiction de circuler ou imposant la fermeture des activités non essentielles, le « fait du prince » pourrait être invoqué comme fait exonératoire de l’exécution des contrats signés antérieurement. C’est en effet davantage ces mesures, inédites dans leur ampleur, que le COVID-19, qui sont susceptibles de rendre impossible l’exécution de certains contrats. Si par contre, il s’agit de prestations intellectuelles, qui peuvent être réalisées à distance ou qui ne justifient pas de déplacement, le fait du prince ne devrait pas pouvoir être retenu.
Par principe, la réponse est négative car la force majeure n’est pas exonératoire des obligations de payer.
La Cour de cassation a rappelé que « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. Com., 16 septembre 2014, n° 13-20306).
La Cour d'appel de Paris a déjà refusé que l’épidémie d’Ebola soit exonératoire : « même à la considérer comme un cas de force majeure, [elle] ne suffit pas à établir ipso facto la baisse ou l'absence de trésorerie invoquée par la société appelante » (Pôle 6, chambre 12, 17 Mars 2016 – n° 15/04263), ou encore l’inexécution des « obligations de la SARL [X], dont celle principale est le paiement des loyers[...], dès lors que la propagation du virus Ebola en Afrique de l'Ouest et la présence du djihadisme au Sénégal ne rendent pas l'exécution des obligations du preneur impossible » (Pôle 1, chambre 3, 29 Mars 2016 – n° 15/12113).
De telles situations financières peuvent par contre faire l’objet de négociations contractuelles entre les parties et de tentative de règlement amiable avant litige, ou encore de procédures collectives (et notamment de sauvegarde ou de mandat ad-hoc qui ne supposent pas la cessation des paiements pour être mises en œuvre).
Les difficultés de trésorerie qui pourraient résulter de l’actuelle pandémie ont d’ailleurs vocation à l’ouverture de telles procédures devant le Tribunal de commerce. C’est le sens de la décision du Tribunal de commerce de Paris qui a reporté l’ensemble de ses audiences, sauf celles liées aux difficultés des entreprise (certes sur un mode dégradé).
Le Code civil ne prévoit pas de procédure particulière. Il convient alors d’agir de bonne foi. Cela suppose de notifier le cas de force majeure dès qu’on peut raisonnablement penser qu’on se trouve ou qu’on va se trouver en situation d’inexécution contractuelle en raison des circonstances actuelles.
La réponse est négative. La force majeure nécessite que les trois conditions d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité soient réunies. La jurisprudence est stricte.
Par contre, si la clause du contrat organisant la force majeure ne prévoit que deux conditions sur les trois, ou prévoit d’autres conditions plus souples d’appréciation des cas de force majeure, ou encore liste certains évènements constitutifs de force majeure, la clause du contrat prévaudra même si les trois conditions cumulatives du Code civil ne sont pas réunies. Il ne sera pas nécessaire de remplir ces trois conditions.
La force majeure est exonératoire de responsabilité. Cela signifie que la partie défaillante ne peut être tenue responsable de sa défaillance et de ses conséquences.
Lorsqu’il existe une clause contractuelle, celle-ci prévoit en général la suspension de l’exécution des obligations, ou son report à une date ultérieure après la cessation de la force majeure. Par ailleurs, il est souvent prévu que passé un certain délai, les parties peuvent choisir de résilier le contrat si la force majeure persiste.
Le même mécanisme est prévu par l’article 1218 du Code civil qui prévoit, en cas de force majeure temporaire, la suspension des obligations, mais lorsqu’elle est définitive, la cessation du contrat.
Il est toujours possible de renégocier les clauses d’un contrat si les parties en sont d’accord. Il faut alors signer un avenant pour modifier les termes du contrat.
Pour les contrats conclus depuis le 1er octobre 2016 (lesquels bénéficient des dispositions nées de la réforme du droit des obligations) la possibilité d’invoquer un cas d’imprévision au sens de l’article 1195 du Code civil, est envisageable à la condition que l’exécution soit encore possible mais qu’elle soit devenue excessivement onéreuse. En pratique, se prévaloir de l’article 1195 du Code civil est contraignant puisque pendant les négociations, le contrat doit encore être exécuté (alinéa 1er in fine). En l’état des circonstances actuelles, l’opportunité d’invoquer l’imprévision doit être appréciée au cas par cas mais elle peut rester opportune si, après la fin du confinement, l’exécution du contrat que l’on pensait seulement suspendue, devient trop onéreuse en raison, par exemple, de la nouvelle situation économique résultant de la pandémie. Il faut également se souvenir qu’en cas d’échec de la renégociation entre les parties, le juge, saisi par les parties, peut adapter ou réviser le contrat ou encore y mettre fin.
La réponse est positive. Le principe de l’exception d’inexécution est classique. Il est désormais clairement exprimé à l’article 1220 du Code civil. Il faudra cependant vérifier que l’inexécution par l’autre partie est « manifeste » et entraine des « conséquences suffisamment graves » pour la partie qui invoque le bénéfice de l’exception d’inexécution. Bien entendu, la bonne foi s’impose.
Au vu des circonstances présentes, il est certain que la bonne foi contractuelle et la loyauté dans l’exécution justifient un rapprochement de l’ensemble des partenaires économiques pour tenter de négocier les conséquences de la pandémie tant l’excuse de force majeure peut être aléatoire sur le plan purement judiciaire même si l’on peut penser que le caractère réellement exceptionnel de la présente situation conduira les juges à faire preuve de compréhension. Nous ne pouvons que vous inviter à relire attentivement vos contrats et vos conditions générales et à identifier les clauses contractuelles traitant notamment de la force majeure et de l’imprévision. Il faut également rester attentif à la réglementation qui pourrait être adoptée dans ce contexte exceptionnel.
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