Le 27 février dernier, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu une décision très attendue1 dans l'affaire Loblaw Companies Limited v. Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada (Loblaws)2. Bien que longue, la décision est bien structurée et fournit des orientations importantes sur les éléments clés suivants.
La Cour, s'appuyant sur la décision qu’elle a rendue dans l'affaire Goodyear Canada Inc. v. American International Companies et al. (Goodyear)3, a rejeté l’approche dite de « toutes les sommes » concernant les frais de défense. Selon cette approche, l'assuré aurait pu choisir un seul assureur pour couvrir tous les frais de défense encourus durant les procédures de première instance, sous réserve du droit de cet assureur de demander une contribution équitable aux autres assureurs concernés. La Cour a souligné que « selon les experts, cette approche [de toutes les sommes] ne bénéficie que d'un soutien limité »4. En accueillant les appels des assureurs en première ligne, la Cour a plutôt retenu fermement la méthode de répartition au prorata de la période de couverture des différents contrats d’assurance (pro-rata time-on-risk approach), conforme aux libellés des polices qui prescrivent contractuellement une obligation de défense limitée dans le temps, soit « durant la période de couverture de la police ». La Cour s'est en outre appuyée sur le libellé des clauses relatives à l'obligation de défendre les intérêts de l'assuré que les polices contiennent, qui précisent que cette obligation s'applique « à la couverture prévue par la police », et a estimé que cela établissait un lien clair entre l'obligation de défendre et la couverture négociée par les parties. La Cour est en désaccord avec les décisions antérieures sur lesquelles le juge de première instance s’est appuyé, qui traitaient du partage entre l'assuré et l'assureur, plutôt que du partage entre les assureurs, comme dans cette affaire, et a fait une distinction entre les assureurs en série (ou consécutifs), comme dans l’affaire Loblaws, et les assureurs concurrents pour la même période.
Outre le fait que la Cour s'est appuyée sur le libellé des polices et sur ses décisions antérieures, l'équité semble avoir joué un rôle dans sa décision. La Cour a notamment fait remarquer qu'« aucun assureur n'a accepté de couvrir les risques en dehors de la période prescrite » et a critiqué la décision du juge de première instance, qui imposait « un fardeau disproportionné et déraisonnable aux assureurs sélectionnés ».
La Cour a appliqué la méthode de répartition au prorata de la période de couverture à la question de l'épuisement des SIRs applicables et a également accueilli les appels des assureurs en première ligne à cet égard. La Cour a jugé que « lorsque la méthode au prorata de la période de couverture est applicable, la question du paiement par un autre assureur disparaît. En effet, cette méthode s'applique à l'épuisement des SIRs ». La Cour a ainsi rejeté l'idée que les SIRs des polices qui ne sont pas épuisées puissent être réduites par le paiement des frais de défense par des assureurs dont les polices ont été épuisées et qui ont été choisis par l'assuré pour défendre l'action. Seul le paiement par l'assuré de sa part des frais de défense peut réduire les SIRs non épuisées des polices qui n'ont pas encore été déclenchées.
Dans cette affaire, les assurés ont tenté, en invoquant l'exonération du défaut d’avis, d’obtenir le droit au remboursement des frais de défense encourus au préalable par ceux-ci, avant la notification des réclamations à certains assureurs, qui ont confirmé l’obligation de défendre. La Cour a catégoriquement rejeté cette demande, arguant que selon les termes des polices, la couverture des frais de défense engagés avant la notification n’était pas prévue. Se fondant sur une décision que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rendue récemment, la Cour a affirmé que l'obligation de défendre ne prenait naissance qu’après demande ou notification. Elle a donc rejeté l'application de l’exonération dans ce contexte, soulignant que « cette situation diffère de celles où un assureur, après réception d’un avis tardif, rejette le contrat et refuse de couvrir les frais préalables à la demande ». Ainsi, la Cour conclut qu’ : « il n'y a pas de déchéance et l’exonération ne s'applique pas ».
En évaluant le caractère raisonnable de la décision du juge de première instance de retenir la position de l'assuré selon laquelle les assureurs devaient signer un accord de communication de la défense (« ACD ») pour accéder à des renseignements privilégiés relatifs à la défense, la Cour a principalement examiné si une crainte raisonnable de conflit était née du fait que les assureurs réservaient leurs droits sur la couverture d’assurance. La Cour a apporté des éclaircissements utiles (et un certain soulagement) aux assureurs en affirmant que « le simple fait qu'un assureur ait réservé ses droits sur la couverture d’assurance ne lui enlève pas son droit de contrôler la défense et de désigner l’avocat pour défendre l’assuré ». La Cour a plutôt mis l’accent sur la réserve spécifique de droits, déclarant que « si la réserve de droits de l'assureur découle de questions de couverture liées à un aspect du comportement de l'assuré en litige, le fardeau [d'établir une crainte raisonnable de conflit] peut être rempli ». Suivant ce raisonnement, la Cour a jugé qu'il existait une crainte raisonnable de conflit justifiant l'ACD, et a résumé la situation comme suit : « Il est rare qu'une réserve générale de droits préliminaire, quasiment standard, donne lieu à une crainte raisonnable de conflit. Toutefois, en l'espèce, les réserves de droit des assureurs étaient liées à un comportement intentionnel, et la plaidoirie d'un tel comportement intentionnel dans les actions collectives est régulière. »
Bien que la Cour n'ait pas exigé la mise en place de l’ACD pour les assureurs qui n'ont pas exercé leur droit de collaborer à la défense (c'est-à-dire « d'exercer une voix et d'être entendu [dans la défense] », elle n'a pas non plus autorisé ces assureurs à utiliser les renseignements privilégiés liés à la défense à des fins de couverture. Rien ne les y obligeait dans les polices et il n'existait aucun intérêt commun (qui constituait la base du droit des assureurs à ces renseignements) avec l'assuré sur les questions de couverture.
Il est important de noter que la Cour a approuvé des protocoles de gestion des dossiers plus élaborés que de simples écrans entre les divisions de la couverture et des réclamations, limités aux gestionnaires des niveaux inférieurs, en raison de la valeur élevée et de la complexité des actions collectives sous-jacentes liées aux opioïdes. La Cour a déclaré à cet égard qu'« un protocole de partage des dossiers qui s'étend plus haut dans la hiérarchie [de l'entreprise] est justifié ».
Il reste à voir si les parties demanderont l'autorisation d'interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, ce qui pourrait donner lieu à d’autres décisions sur ces enjeux importants en matière d’assurance. Quoi qu'il en soit, cette décision sera certainement sujette à de nombreux commentaires et à une analyse judiciaire au fur et à mesure de son application.
Étant donné que le Code civil du Québec est silencieux sur certaines questions relatives au partage des frais de défense et aux rapports entre les assureurs en première ligne et excédentaires, la décision dans l’affaire Loblaws pourrait avoir des répercussions intéressantes dans des affaires similaires relevant des lois du Québec.
Il est essentiel de consulter un avocat spécialisé en couverture d’ assurance si vous avez un cas qui pourrait s’apparenter aux faits dans l’affaire Loblaws. Veuillez communiquer avec l’un des membres de l’équipe Dentons suivant si vous avez des questions : Douglas B. B. Stewart, Nathalie Durocher, Deepshikha Dutt, Will Samson-Doel et Jade Lemieux.
Le présent bulletin ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considéré comme tel.
[1] L’audition de l’appel a eu lieu en avril 2023. [2] Loblaw Companies Limited v Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada, 2024 ONCA 145. [3] Goodyear Canada Inc. v American International Companies et al., 2013 ONCA 395 (CanLII). [4] La décision de la Cour d’appel de l’Ontario est disponible en anglais seulement. Les traductions des citations tirées de la décision que vous trouvez dans la présente publication sont les nôtres et sont fournies à titre de renseignement seulement.
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