Au Québec, de récents développements juridiques ont modifié de manière fondamentale la façon dont l’industrie des assurances poursuit ses activités au sein de la province. Plus précisément, ces développements, y compris les changements apportés aux lois sur la langue française au Québec, aux obligations en matière de protection de la vie privée et à l’obligation de défendre des assureurs, ont des répercussions sur la manière dont les assureurs, les maisons de courtage et les agences générales de gestion (« AGG ») agiront lors de souscriptions et d’activités d’affaires auprès d’assurés au Québec.
À la suite de la mise en œuvre des projets de loi 96 et 64 (définis ci-après) et à la modification de l’article 2503 du Code civil du Québec, l’Autorité des marchés financiers(l’« AMF ») a confirmé qu’elle n’a pas, en ce moment, l’intention de modifier quelque règlement ou ligne directrice en particulier. Par conséquent, il revient aux assureurs, aux maisons de courtage et aux AGG d’interpréter les dispositions législatives et de déterminer s’ils les respectent. L’industrie des assurances devra donc trouver son chemin au sein d’un environnement posant de nombreux défis.
Le présent article récapitule, à un niveau supérieur, les récentes mises à jour juridiques concernant les exigences légales portant sur la langue française, les nouvelles obligations en matière de protection de la vie privée et les principes d’intérêt public modifiés concernant l’obligation de défendre des assureurs, tout comme les répercussions respectives qu’entraînent ces changements dans l’industrie des assurances.
Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 96, qui a reçu la sanction royale le 1ᵉʳ juin 2022. Le projet de loi 96 modifie plus de 25 lois, plus particulièrement la Charte de la langue française (la « Charte »), la Loi constitutionnelle de 1867, la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec.
Les modifications apportées par le projet de loi 96 sont centrées sur l’utilisation du français dans les relations commerciales, le droit des contrats, les droits à l’éducation, les relations avec l’administration, les relations de travail, la magistrature et l’élargissement de la portée des sanctions en cas de violation. Pour les fournisseurs d’assurance, le respect de ces nouvelles exigences commande une attention particulière aux détails en ce qui concerne la passation de contrats, la prestation de services et la compréhension des sanctions possibles.
Bien qu’il ne l’ait pas explicitement prévu dans la Charte modifiée, le gouvernement du Québec a confirmé qu’il exigera des entreprises de compétence fédérale (p. ex., les banques, les sociétés de télécommunications et de transport interprovincial, etc.) qu’elles respectent les dispositions de la Charte, telles que modifiées par le projet de loi 96, à l’égard de leurs activités d’exploitation et commerciales au Québec.
La question de savoir si un fournisseur d’assurance sera considéré ou non comme étant une « institution financière » dépend des définitions que l’on trouve dans diverses lois. Essentiellement, peu importe d’où proviennent les entreprises, celles qui viennent au Québec et y offrent des services au sein de la province devront respecter les nouvelles exigences – et cela comprend les assureurs. Bien que certaines exigences ne soient pas encore pleinement en vigueur, la plupart le sont depuis le 1ᵉʳ juin 2022. Plus particulièrement, les assureurs doivent garder à l’esprit les éléments suivants :
Une institution financière doit être en mesure d’interagir avec toute personne ou tout client en français et doit communiquer avec les clients en français. Donc, tous les clients d’une institution financière au Québec doivent pouvoir accéder en français aux renseignements sur l’institution, sur ses produits et sur ses services. En outre, les institutions financières doivent respecter les obligations réglementées par la Charte, en soutenant les activités commerciales en français et en étant en mesure de les poursuivre dans cette langue, au besoin. Concrètement, les documents suivants doivent être rédigés en français : catalogues, brochures, factures, reçus et tout autre document de même nature. Toutefois, une version de ces documents peut être produite dans une autre langue, si la version française est tout aussi accessible.
À compter du 1ᵉʳ juin 2023, l’article 55 de la Charte crée l’obligation de rédiger les contrats d’adhésion en français, qu’ils soient sur support papier ou électronique. En général, les contrats d’adhésion sont des contrats prédéterminés par une partie et qui contiennent des clauses-types imprimées à l’avance. De nombreux contrats d’assurance pourraient être considérés comme étant généralement des contrats d’adhésion, étant donné que bon nombre de leurs dispositions essentielles sont rédigées par l’assureur de manière unilatérale. De tels contrats ne seront valides que si la version française a déjà été fournie au client et que celui-ci a exprimé son souhait d’obtenir le contrat dans une autre langue.
Un contrat utilisé dans le cadre de relations commerciales à l’extérieur du Québec n’a pas à être rédigé en français au sens du premier alinéa de l’article 55 de la Charte. Ainsi, les entreprises faisant affaire à l’extérieur du Québec, par exemple aux États-Unis, peuvent utiliser un contrat dans la langue de leur choix. Cela dit, il existe certaines dispenses à l’obligation de produire une version française, par exemple :
Ainsi, les contrats d’assurance faits sur commande (p. ex. les polices manuscrites) ou les produits d’assurance spécialisés seront probablement dispensés de l’exigence de traduction en français. Toutefois, les assureurs doivent garder à l’esprit que même les contrats d’assurance personnalisés peuvent être considérés comme étant des contrats d’adhésion par le droit québécois, et être ainsi assujettis à l’article 55 de la Charte.
Le projet de loi 96 impose également une nouvelle exigence : tous les contrats conclus entre une entreprise privée et l’administration civile doivent être rédigés exclusivement en français, y compris tous les contrats de sous-traitance. Ces exigences entreront en vigueur le 1ᵉʳ juin 2023. Il existe toutefois des exceptions permettant que le contrat soit rédigé à la fois en français et dans une autre langue, comme les contrats de prêt, les contrats financiers (dont l’objet est de gérer les risques financiers, y compris les contrats d’échange de devises ou de taux d’intérêt) et les contrats conclus au Québec entre l’administration civile et un cocontractant situé à l’extérieur du Québec.
En outre, certains contrats peuvent être rédigés exclusivement dans une langue autre que le français, y compris lorsque l’administration engage par contrat quelqu’un se trouvant à l’extérieur du Québec et lorsque le contrat est une police d’assurance qui n’a pas d’équivalent français, qui provient de l’extérieur du Québec et dont l’utilisation n’est pas répandue au Québec.
Les écrits envoyés à un organisme gouvernemental par une entreprise aux fins de l’obtention d’un permis, d’une licence, d’une approbation, d’une autorisation, d’une subvention ou d’autres formes d’aide financière doivent être rédigés exclusivement en français. Les écrits doivent également être rédigés exclusivement en français lorsque l’administration civile est partie à un contrat. L’AMF a indiqué que bien qu’elle n’ait pas encore publié de communiqué de presse concernant l’obligation de fournir de la correspondance écrite en français pour l’obtention de permis et d’approbations, elle s’attend à ce que ses processus soient touchés par le projet de loi 96.
Le projet de loi 96 accorde également à l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF ») de nouveaux pouvoirs de surveillance du magasinage en ligne, notamment pour interdire aux personnes situées au Québec d’acheter des biens et services auprès d’entreprises étrangères qui ne respectent pas la Charte. Ainsi, les assureurs qui vendent directement en ligne à des consommateurs peuvent être confrontés à des ordonnances de cesser de fournir des produits d’assurance au Québec. L’utilisation réelle de ce pouvoir demeure incertaine, car les entreprises étrangères pourraient ne pas être assujetties à l’application de la Charte. Cela rendrait difficile l’imposition de telles sanctions à leur égard.
La portée des sanctions a été élargie par le projet de loi 96 afin que soient incluses des sanctions administratives, civiles et pénales. Le défaut de respecter les nouvelles exigences entraînera la délivrance d’une ordonnance par l’OQLF en vertu de l’article 204.24 de la Charte. L’article 205 de la Charte énonce les sanctions pénales qui peuvent découler de la violation d’une telle ordonnance.
Un contrat, la décision d’un tribunal ou tout autre acte contenant une disposition contrevenant à la Charte peut être déclaré nul à la demande de la personne qui subit le préjudice. La nullité sera réputée absolue si un organisme de l’administration civile est partie à l’acte, même en l’absence de préjudice. Une partie peut en outre demander que ses obligations prévues par la loi soient allégées. Le tribunal peut rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée lors d’une demande d’imposition de sanction. Il est important de noter qu’une partie qui invoque la nullité d’un contrat d’adhésion n’a pas à démontrer que la violation de l’article 55 de la Charte (tel que discuté ci-dessus) a causé un préjudice. Il incombe plutôt à la partie violant la Charte de démontrer qu’il n’y a pas eu de préjudice découlant du fait qu’elle n’a pas fourni une version française comme l’exige la Charte.
Les sanctions pénales comprennent des amendes pour violation de la Charte, qui se situent maintenant entre 700 $ CA et 30 000 $ CA (art. 205 de la Charte). Ces montants sont doublés en cas de seconde infraction et triplés pour toute autre récidive (art. 206 de la Charte). Des amendes sont imposées pour chaque jour pendant lequel l’infraction se poursuit (art. 208 de la Charte). Il est même possible de révoquer le permis d’une entreprise en cas de violation prolongée. Les administrateurs et les dirigeants d’une entreprise seront également réputés avoir personnellement commis l’infraction et les amendes seront doublées par rapport aux amendes applicables à d’autres personnes (art. 207 de la Charte). Bien que les administrateurs et les dirigeants puissent invoquer une défense de diligence raisonnable, il demeure néanmoins impératif que les assureurs s’assurent de respecter les nouvelles exigences. En ce moment, la question de savoir comment un administrateur ou un dirigeant pourrait invoquer la diligence raisonnable en cas de violation demeure sans réponse. Toutefois, la mise en place de politiques et de procédures rigoureuses pour assurer le respect de la Charte ou pour assurer que les politiques sont visées par les dispenses disponibles aiderait probablement à démontrer la diligence raisonnable.
Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (« Projet de loi 64 »)
D’importantes modifications au projet de loi 64, inspirées du Règlement général sur la protection des données (GDPR) de l’Union européenne, commencent à entrer en vigueur le 22 septembre 2022, par exemple l’obligation de nommer une personne à titre de responsable du respect de la protection des renseignements personnels au sein d’une organisation et la notification obligatoire des violations. La plupart des dispositions entrent en vigueur le 22 septembre 2023, dont les amendes de plusieurs millions de dollars qui pourront être imposées par la Commission d’accès à l’information. Le droit à la portabilité, soit le droit d’obtenir le transfert des renseignements personnels d’un particulier d’une organisation à une autre, sur demande (par exemple, d’une compagnie d’assurance ou d’un courtier à un autre) dans un format lisible pour assurer l’interopérabilité, entre en vigueur le 22 septembre 2024.
Les nouvelles dispositions du projet de loi 64 auront des répercussions importantes sur les assureurs, les maisons de courtage et les AGG en ce qui a trait aux renseignements personnels de nature sensible et aux systèmes de décision automatisés.
Les assureurs, les maisons de courtage et les AGG traitent tous des renseignements de nature hautement sensible liés à la santé, au mode de vie et aux avantages financiers. Le projet de loi 64 exige que : i) la sensibilité des renseignements personnels soit prise en compte dans la détermination de l’obligation de notifier en cas de violation de la protection des données; ii) l’utilisation de tels renseignements dans un but autre que celui pour lequel ils ont été recueillis, ou la communication de tels renseignements, fasse l’objet d’un consentement exprès (option d’adhésion); iii) la sensibilité des renseignements soit prise en compte dans les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée concernant le stockage de données à l’extérieur du Québec.
Le projet de loi 64 régira les systèmes de décision automatisés, par exemple ceux qui sont utilisés aux fins de modélisation des données et d’évaluation des risques. Lorsqu’une décision repose exclusivement sur un processus automatisé, l’organisation doit informer la personne visée de l’utilisation de tels systèmes, lui donner accès, sur demande, aux renseignements personnels la concernant étant utilisés pour prendre la décision, et lui donner l’occasion de les faire corriger et de présenter ses observations à une personne qui est en mesure de corriger la décision.
Le 5 mai 2022, le Règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil entrait en vigueur au Québec. L’article 2503 du Code civil du Québec prévoit que l’assureur est tenu d’assumer la défense de ses assurés et que les frais de défense s’ajoutent aux limites de la police d’assurance (le « principe »). Ce principe a été modifié le 7 juin 2021. L’article 2503 permet maintenant au gouvernement du Québec d’adopter un règlement pour déterminer certaines catégories de contrats d’assurance et d’assurés qui ne seront pas assujettis au principe.
Le règlement prévoit qu’un assuré, au moment de la souscription d’un contrat d’assurance de responsabilité civile, est dispensé s’il correspond à l’un des cas suivants :
Plus important encore : un assuré peut également être dispensé de l’application du principe lorsque la couverture totale de tous les contrats d’assurance responsabilité qu’il a souscrits est d’au moins 5 millions de dollars canadiens et qu’elle appartient à l’une des catégories suivantes au moment de la souscription :
Il est important de noter que ces dispenses ne s’appliquent pas aux polices d’assurance pluriannuelles et qu’elles ne s’appliquent qu’aux polices dont la durée ne dépasse pas un an. Dans le cas de polices annuelles, les conditions énoncées ci-dessus doivent être remplies au moment de chaque renouvellement. Le règlement prévoit en outre que si la loi exige une couverture minimale de responsabilité civile, tout produit d’assurance doit d’abord être affecté au paiement des tiers lésés avant que tout autre paiement puisse être effectué. Ainsi, les polices dont les frais de défense se situent à l’intérieur des limites continueront de respecter les normes minimales quant au montant de la couverture d’assurance.
L’industrie des assurances se réjouit de ces changements. Des ajustements correspondants aux taux et au libellé des polices devront être mis en œuvre par les assureurs, même si seulement quelques catégories d’assurés peuvent bénéficier des changements. Ces modifications législatives constituent un premier pas vers l’avant qui permettra l’élargissement, fort souhaitable, de la capacité d’offrir des produits d’assurance à des taux inférieurs dans le marché des assurances du Québec.
Chacune des récentes modifications législatives aura des répercussions importantes sur l’industrie des assurances.
Le projet de loi 96 impose un certain nombre de nouvelles exigences qui sont susceptibles d’avoir d’importantes répercussions sur la manière dont les assureurs exercent leurs activités au sein du marché québécois. Désormais, les intervenants de l’industrie de l’assurance doivent composer avec un cadre réglementaire complexe pour s’assurer qu’ils respectent les lois sur la langue française. Bien que certains intervenants de l’industrie craignent que le projet de loi 96 n’entraîne une augmentation des primes et une réduction supplémentaire de la capacité disponible, les dispenses énoncées ci-dessus laissent place à une certaine marge de manœuvre lors de l’offre de produits. En l’absence de directives de l’AMF, l’industrie des assurances devra élaborer des pratiques rentables et pleinement conformes à la nouvelle réglementation.
En ce qui concerne le projet de loi 64, les assureurs, les maisons de courtage et les AGG qui traitent des données provenant du Québec doivent commencer dès maintenant à mettre à jour leurs cadres de conformité afin de respecter leurs obligations aux termes des nouvelles dispositions législatives sur la protection des renseignements personnels. Plus précisément, les intervenants de l’industrie devraient porter une attention particulière aux changements concernant les renseignements personnels sensibles et les systèmes de décision automatisés.
Pour terminer, le marché des assurances du Québec pourrait tirer avantage des modifications apportées au principe en augmentant la capacité et en réduisant les primes. On peut s’attendre à ce que dans l’avenir, le gouvernement ajoute d’autres catégories pouvant bénéficier d’une dispense afin de mettre le marché québécois des assurances sur un pied d’égalité avec les provinces de common law.
Compte tenu des changements réglementaires susmentionnés, les intervenants du secteur devront absolument surveiller attentivement l’évolution de la jurisprudence ou des directives réglementaires afin d’interpréter et d’appliquer correctement ces nouvelles exigences. Étant donné qu’il n’existe actuellement aucune directive sur les répercussions des changements susmentionnés, les assureurs, les courtiers et les AGG doivent absolument obtenir des avis juridiques pour s’assurer qu’ils continuent de respecter la réglementation québécoise lorsqu’ils exercent leurs activités au Québec.
Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec les auteurs de cet article : Laurie LaPalme, Emil Vidrascu, Chantal Bernier et Katie May O’Donnell.
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